Jean-Joseph Arnous Rivière, 1er baron et patriarche
Anne du Boucheron représente la septième génération des Arnous Rivière à La Baronnière. En 1801, Jean-Joseph Arnous Rivière achète cette terre sur laquelle son fils fera construire le château. Le récit de sa vie nous est remarquablement conté dans Nantes et ses messieurs – Les Arnous, écrit par Yvonne Arnous Rivière (auto-édité, 1994) qui s’appuie sur de nombreux actes paroissiaux, archives et ouvrages, notamment Histoire et généalogie de la maison Guillet de la Brosse durant plus de quatre siècles – 1500 à 1944, écrit par Alain Guillet de la Brosse (ed. de l’Ouest, 1945).
Une enfance endeuillée
Jean-Joseph naît le 23 octobre 1754 à Nantes, deux mois après la naissance de Louis XVI. Ses parents vivent île Feydeau. Ils ont déjà perdu un fils mort-né et son enfance sera rythmée par la mort des petits frères et sœurs qui suivront, cinq entre ses 3 et ses 12 ans. Seule Marie-Françoise survit. Ils ont sept ans d’écart. Sa mère, accablée de chagrin ou de santé fragile, meurt alors qu’il n’a pas encore 16 ans. Le père de Jean-Joseph, Joseph, perd ainsi sa collaboratrice et sa femme : il ne se remariera jamais.
Armateurs nantais de génération en génération
Jean-Joseph naît dans une famille fortunée et installée à Nantes au moins depuis le XVIe siècle. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, les Arnous font partie de l’aristocratie du très haut négoce : ils sont constructeurs de bateaux, fournisseurs de la Compagnie des Indes et armateurs (“armer un navire” consiste à organiser une expédition de A à Z, de la désignation du capitaine à l’exploitation commerciale en passant par le choix des marchandises).
Jean-Joseph s’inscrit dans cette lignée. Il est négociant. Son arrière-grand-père était charpentier de marine et possédait un chantier naval Prairie de la Madeleine, l’une des îles de Nantes à l’époque. Son grand-père -qui meurt quand Jean-Joseph a 15 ans- est négociant, entrepreneur et architecte. Son père possède également un chantier Prairie de la Madeleine et dirige l’entreprise “Arnou fils”. C’est lui qui fonde la branche Arnous Rivière (il signe “Arnous Rivière” après son mariage avec Jeanne-Adrienne Rivière). En 1784, Jean-Joseph hérite de l’entreprise et de tous les biens de son père, à charge pour lui de s’occuper de sa sœur Marie-Françoise.
Ses oncles aussi ont réussi. Les deux demi-frères de son père, René et Nicolas, fondent “Arnous Jeunes Frères” à L’Orient (Lorient aujourd’hui), une importante entreprise de négoce et d’armement. Le frère de son grand-père, maître-charpentier, a lui aussi créé une dynastie de grands négociants maritimes, “Nicolas Arnous père et fils”. Jean-Joseph fera d’ailleurs des affaires en Amérique et à Saint Domingue avec Nicolas, le fils de ce grand-oncle (les généalogistes ont souvent confondu les anoblissements de Jean-Joseph et de ce Nicolas : en 1774, Nicolas achète une charge de secrétaire du roi mais ce sera une « noblesse inachevée » en raison de la Révolution).
À cette époque, Nantes est le premier port négrier français. Contrairement à son père et à son grand-père, Jean-Joseph prend part à la traite negrière. S’il n’arme pas lui-même de navires, on sait qu’en 1787, il a un intérêt de 1/5e dans la maison de commerce “Nicolas Arnous père et fils”. Or, son oncle Nicolas participe au commerce triangulaire en 1753 puis de 1783 à 1791, date des émeutes de Saint Domingue. Avec l’arrêt brutal du commerce avec la colonie, l’ensemble de ces opérations de traite s’est traduit par une perte sèche colossale et des crédits qui n’ont pas été remboursés.
Mariage à 33 ans
Jean-Joseph se marie avec Marie-Félicité Courault en décembre 1787. À cette époque, il vit Île Feydeau comme elle. Elle a 21 ans. Il en a 33. Leur union est célébrée en la chapelle du Bon Secours, dans la paroisse de Sainte-Croix à Nantes. Elle est la fille d’un négociant et, elle aussi, a perdu sa mère. Le père de Jean-Joseph meurt sans doute peu après son mariage, mais on ignore encore aujourd’hui où et quand. Le jeune couple s’installe entre Nantes et le Coteau, à Varades, à une cinquantaine de kilomètres de Nantes, une propriété que le père de Marie-Félicité a achetée quatre ans plus tôt. Jean-Joseph et Marie-Félicité perdent un premier fils, Jules, en bas âge.
1789 : un libéral sans doute acquis aux idées de la Révolution
En mai 1789, c’est le début de la Révolution avec la convocation des États-généraux ; en juin, la tenue de la première Assemblée nationale, la Constituante ; en août, la déclaration des droits de l’homme. Jean-Joseph a 34 ans. Il fait partie de la loge franc-maçonnique Saint-Germain fondée en 1750 à Nantes. La bourgeoisie domine la ville et adopte les idées révolutionnaires. Les négociants comme lui voient dans la Révolution et notamment la mise en place de la Constituante, la promesse de la liberté d’entreprendre. Mais ce zèle est refroidi par les excès de la Révolution.
En mars 1793, la Vendée se soulève contre les révolutionnaires. Les insurgés sont repoussés en juin lors de la bataille de Nantes. Paris décide d’envoyer Jean-Baptiste Carrier à Nantes. Il arrive en octobre et engage une politique de terreur frappant les opposants politiques, les prêtres réfractaires et les suspects. Alors que la guillotine bat son plein à Paris, lui met au point la “déportation verticale” dans la Loire entre novembre 1793 et février 1794, faisant entre 1.800 et 4.800 noyés. Entre les contrôles et les dénonciations, la vie quotidienne est bouleversée. Certains amis ou proches de Jean-Joseph décident d’émigrer comme sa cousine issue de germaine Suzanne.
Fuir la Terreur
En 1793, Jean-Joseph échappe par “miracle” -il l’écrira lui-même plus tard- à la rafle du 12 novembre 1793 qui se terminera par le fameux “procès des Nantais” à Paris. Sur décision du comité révolutionnaire, 150 notables sont arrêtés chez eux au petit matin. L’ordre était d’incarcérer “tous les négociants riches et tous les gens d’esprit que l’opinion désigne comme suspect”. C’est la chasse aux “tièdes”, ceux qui ne prennent pas ou pas suffisamment parti pour la Révolution. Finalement, 132 sont emprisonnés à Nantes, dont 47 négociants, armateurs et industriels, comme le frère de Suzanne, Timothée. Ils sont conduits à pied à Paris pour y être jugés, 39 ne survivent pas au voyage. À l’issue du procès, du 8 au 14 septembre 1794, ils sont tous acquittés.
Réfugié à Varades puis Orléans
Pour ceux qui n’étaient pas là le jour de la rafle, des scellés sont apposés chez eux. Le beau-frère de Jean-Joseph, Eutrope Thoinnet, témoin à son mariage, est arrêté deux mois plus tard et meurt en prison. Ce matin-là, Jean-Joseph n’est pas chez lui, île Feydeau. Souffrant d’un accès de goutte, il est parti la veille au Coteau, à Varades, chez son beau-père. C’est là qu’une violente fièvre le cloue au lit jusqu’à la fin du mois de mars et on lui conseille d’aller prendre des eaux ferrugineuses près d’Orléans. Il réside alors rue du Chat-qui-perche puis 80 rue de Recouvrance à Orléans. C’est lui-même qui raconte cela dans un mémoire daté de mai 1794 et envoyé aux représentants du peuple à Nantes afin d’obtenir la levée des scellés. Il y souligne que sa conduite a été irréprochable, celle d’un “bon républicain”. Il affirme qu’“il ne craint pas qu’on puisse le taxer d’accapareur ni d’agitateur [car] il n’en eut jamais la volonté”. Sincérité et habileté sont sans doute mélangées dans ce texte. En tout cas, les scellés sont levés durant l’été.
Paris et les derniers jours de Robespierre
Jean-Joseph part alors à Paris où il vit au 18 rue de Boulloi (aujourd’hui rue du Bouloi, dans le 1er arr.) du 17 juillet au 28 septembre 1794. C’est l’une des périodes les plus dangereuses de la Révolution, celle où la situation se retourne contre Robespierre. En juin et juillet 1794, le Tribunal révolutionnaire prononce 1 376 condamnations à mort ! Le 27 juillet, la Convention décrète l’arrestation de Robespierre. L’une des colonnes de la Convention est partie de la rue Saint-Honoré, à deux pas de chez Jean-Joseph, pour aller chercher le “tyran” à l’Hôtel de Ville. Les émeutiers sont donc sans doute passés dans son quartier. Le lendemain, Robespierre est guillotiné avec ses partisans. Le procès des Nantais se termine le 14 septembre. Quinze jours plus tard, Jean-Joseph retourne à Orléans.
Enfin père de famille … à 44 ans
Après la terreur, en 1795, les républicains modérés instaurent le Directoire. C’est dans les derniers mois de ce régime qu’en août 1799, à Orléans, naît le premier fils de Jean-Joseph, Jean-Adolphe. Le 9 novembre 1799, c’est le coup d’État du 18 brumaire et la mise en place du Consulat. Napoléon Bonaparte est premier consul.
En 1800, Jean-Joseph Arnous Rivière a 46 ans. C’est un homme d’1m75, avec un nez ordinaire, une bouche moyenne, un menton rond dans un visage ovale et coloré, un front haut découvrant une calvitie naissante, des cheveux châtains, des yeux bruns ou gris (selon les sources).
Le “jeune” père de famille aborde le XIXe siècle avec une maturité forgée par dix ans de dures épreuves. Au long de ces années difficiles, s’il a acquis prudence et habileté, il a montré aussi une remarquable faculté de rebondissement. Administrateur avisé, bon négociateur, il est capable de décisions hardies. Il a restauré sa maison de commerce malgré ses pertes à Saint Domingue et en Amérique. Il dispose sans doute d’une trésorerie importante. Sa femme Marie-Félicité hérite du Coteau cette année-là, à la mort de Jean-Arnaud Courault. Le château a été miraculeusement protégé pendant la Révolution sans doute grâce à la vigilance de ce beau-père.
Après la Révolution, Orléans a peu à peu perdu son importance de nœud de communications. On navigue moins sur la Loire. Napoléon rétablit les finances, le commerce et l’industrie repartent. Jean joseph peut songer à l’avenir. Il envisage de rentrer en Loire-Atlantique. Sans doute l’achat de La Baronnière eut pour résultat de déplacer le centre de ses préoccupations.
1801 : les Arnous Rivière à La Baronnière
Pour Jean-Joseph, la terre du Coteau est trop petite. Il cherche un grand domaine agricole dans les environs et jette son dévolu sur le domaine de La Baronnière à La Chapelle-Saint-Florent. Son propriétaire, Charles Melchior Arthus de Bonchamps, est mort en 1793 quelques mois après l’incendie de son château. En 1798, sa veuve -ruinée- obtient la levée du séquestre sur ses biens grâce à l’ultime geste de pardon de son mari. Une première vente aux enchères a lieu le 9 août 1800. Le juste prix n’est pas atteint, le domaine est remis en vente quelques mois plus tard. Jean-Joseph remporte l’enchère et règle en numéraire or. Le contrat est acté le 30 juin 1801. La Baronnière est alors une terre nue où tout ou presque est à reconstruire. Le château datant de la Renaissance, avait été brûlé pendant les combats sanglants du mois d’avril 1793.
Selon les créanciers des Bonchamps, il reste “un pavillon avec un escalier de pierre, deux chambres et un grenier”, mais aussi “un jardin potager en terrasse fermé par deux grilles de fer et ayant vue sur la rivière Èvre”, “un verger”, “une vaste basse-cour” entourée de trois murs dont les toitures sont sans doute effondrées (actuelle cour carrée), “une pelouse” et “un petit étang”. Il y a également 15 exploitations agricoles (11 métairies et 4 closeries). Au total, cela représente sans doute moins de 1.200 hectares, contrairement à ce que disent certains historiens, car on sait qu’à la mort de Jean-Joseph, malgré d’autres terres qu’il a achetées entre 1811 et 1825, le domaine s’étend sur 627,14 hectares.
La fin de l’année 1803 est lourde en émotion pour Jean-Joseph. Le 8 décembre, à Orléans, naît son deuxième fils, Jules-Armand. La famille se retrouve alors au Coteau. Jean-Adolphe y meurt quatre jours plus tard, à 5 ans. Ce sera un bien triste Noël … mais Marie-Félicité est déjà de nouveau enceinte. Elle reste au Coteau avec Jules-Armand. Henri-Guillaume -surnommé William- naît prématurément l’été suivant. Le 2 décembre, Napoléon est sacré empereur. C’est aussi le début des guerres napoléoniennes.
Son œuvre à La Baronnière
La nouvelle de la mort de son oncle Nicolas, en 1807 à Nantes, a probablement terriblement affecté Jean-Joseph. C’est la fin d’une longue complicité professionnelle et affectueuse. Il quitte définitivement Orléans sans doute entre 1807 et 1810. Pour des raisons professionnelles et pour La Baronnière, le retour à Nantes s’impose mais le Coteau resta le refuge qu’il avait été pendant la Révolution. De là, il gère sa terre de La Baronnière. Il remet en état les bâtiments d’exploitation. Il construit l’orangerie adossée à la cour carrée dans un but pratique avec de vastes logements et des communs fonctionnels, sans recherche de style. Il emploie également un garde-champêtre armé d’un fusil pour protéger le parc. Jean-Joseph commence aussi des activités politiques. Aux premières heures de la Restauration, en 1815 et en 1816, il est nommé à la présidence de collèges électoraux de l’arrondissement d’Ancenis. En 1816, il est aussi nommé membre du conseil général du département de la Loire-inférieure. En 1826, à 21 ans, son second fils Henri-Guillaume, surnommé William, se marie. Une petite fille, Camille, naît l’année suivante.
Organiser la suite
La Restauration a permis à 2.128 familles d’accéder à la noblesse. Fin octobre 1827, Jean-Joseph sollicite l’attribution d’un titre de baron héréditaire via le majorat c’est-à-dire accompagné de biens inaliénables, insaisissables et imprescriptibles, transmis hors part, à son aîné. Jules-Armand a alors 24 ans. La transmission d’un titre accompagné du domaine de La Baronnière lui permettrait de maintenir son rang. De son côté, Charles X cherche à s’allier une nouvelle noblesse de notables des campagnes entre la noblesse ancienne plus royaliste que le roi et la noblesse d’Empire qui rêve de gloires perdues. Jean-Joseph est fait baron héréditaire à 73 ans, le 20 mars 1828 confirmé par lettres patentes de Charles X le 21 août 1828. C’est d’ailleurs dans ces lettres patentes qu’on trouve la dernière mention “Arnou”. Ensuite le “s” sera systématiquement ajouté. Il s’agit d’un anoblissement individuel sans aucun règlement (hormis les droits à verser à la Chancellerie).
Les enfants et petits-enfants
En cette année 1828, Jean-Joseph est en grande forme physique et intellectuelle. Il a mené à bien son plan pour assurer à son fils un avenir et éviter le morcellement de son domaine. Son premier petit-fils est né en novembre, c’est Henri-Guillaume. Deux autres fils suivront en 1830 et en 1831. Cette troupe joyeuse devait animer le Coteau dont héritera le second fils de Jean-Joseph à la mort de Marie-Félicité (il recevra aussi de plusieurs métairies de La Baronnière). En attendant, William a quitté l’école militaire pour se lancer dans plusieurs audacieuses entreprises de construction et de transport de passagers sur la Loire. L’un de ses bateaux à vapeur transporte la duchesse de Berry lors de son pèlerinage vendéen à l’été 1828. Elle se rend à Saint-Florent et à La Baronnière sur les pas de Bonchamps puis à Nantes (selon Gabory dans Les Bourbons et la Vendée cité par Alain de La Brosse).
En 1834, c’est au tour de Jules-Armand de se marier. Il choisit Ernestine Guillet de la Brosse, de 13 ans sa cadette. Jean-Joseph aura juste le temps de connaître le premier fils de son aîné, Ernest, né en mai 1835 au 11 rue Félix à Nantes (actuelle rue Henri IV).
Jean-Joseph meurt à 81 ans
Un peu plus d’un an plus tard, c’est aussi au 11 rue Félix, chez lui, que Jean-Joseph meurt. Il est 11h du matin ce 26 mars 1836. Jean-Joseph avait 81 ans. Jules Armand, lui, en a 32 ans. Comme son père, c’est un esprit solide, équilibré, dynamique et le culte de la tradition familiale domine sa vie. L’année suivante, il deviendra maire de La Chapelle-Saint-Florent. Il poursuivra l’œuvre de son père en construisant une chapelle et un château à La Baronnière et un hôtel particulier à Nantes (32 rue de Strasbourg). C’est la génération des bâtisseurs. Marie-Félicité meurt au Coteau le 16 juillet 1853, 17 ans après la mort de son mari.